Dans le cadre d’un cours que j’ai donné à l’Université d’Evry Val d’Essonne, j’ai présenté les témoignages de plusieurs traducteurs indépendants sur leur métier. Trois traducteurs, trois visions du métier, plus ou moins positives, plus ou moins enthousiastes. Ce cours (« Devenir traducteur indépendant ») étant destiné à des étudiants de Master en Traduction spécialisée sur le point de s’installer en freelance, j’avais synthétisé ces témoignages. Je livre ici les versions « brutes de décoffrage » : accrochez-vous !
John Antony, traducteur FR-EN, 23 ans de métier.
En « freelance », on est effectivement un travailleur indépendant. Comme dans toutes situations, on peut identifier des avantages et des inconvénients.
Les avantages qui me viennent à l’esprit :
- On travaille chez soi, selon les horaires que l’on choisit
- On est libre d’accepter ou non un travail
- On n’est pas soumis à une hiérarchie autre que celle qui régit une relation « client-fournisseur », qui est différente de celle qui régit les relations « supérieur-subalterne »,
MAIS, il faut bien parler des inconvénients… :
- Toute traduction est pour avant-hier…
- Nous travaillons essentiellement avec des agences, et toutes ne sont pas aussi bien « établies » … financièrement,
- Le travail va et vient, si bien qu’il est difficile de planifier à l’avance : c’est tout ou rien,
- Il n’y a guère de week-ends, jours fériés, etc… On peut difficilement refuser des travaux de manière répétitive, parce que l’on se retrouve … sans travail !
- Il existe une concurrence féroce de la part d’agences – en particulier dans le sud-est asiatique – qui pratiquent des tarifs absurdes et font souvent du très mauvais travail qui fait du tort à nous tous (comme on dit en France, « …tous les mécaniciens sont des escrocs, sauf 99,5% d’entre eux… !!! »…
Mes recommandations :
- Savoir définir – et se tenir à ses compétences : personne ne sait « tout »…,
- Respecter les délais scrupuleusement,
- S’assurer que le lecteur de la traduction va comprendre de quoi il s’agit, même s’il faut parfois préciser que l’on n’a pas trouvé la traduction exacte d’un terme, d’une expression, …,
- Ne pas hésiter à questionner le client si on a un doute sérieux,
- Laisser « reposer » une traduction pendant quelques heures (si l’on peut) avant de la revoir et de corriger éventuellement des détails,
- Le client n’a pas toujours raison…
- Pour un nouveau client, demander les coordonnées bancaires et faire vérifier par son propre banquier la fiabilité du client : c’est une des rares opérations qui ne coûte rien ( ! ), et même s’il ne vous donnera aucun détail, il vous dira « allez-y » ou « faites attention »…
Patrick Thibaut, traducteur EN-FR, 20 ans de métier.
Ce qui me plait dans ce métier. Je pourrais décrire ce qui me plaisait naguère dans ce job, mais je ne suis pas sûr du tout que ça me plaise encore ! J’assiste depuis quelques années à une paupérisation croissante du métier de traducteur, avec une chute des prix de 30 à 40 % et son corollaire, une indifférence grandissante des clients, y compris de nombreuses agences, pour la qualité. On pourrait même parler de prolétarisation, puisqu’avec différentes « innovations » comme les TM en ligne sur le site du client (voir Idiom), nous ne posséderons bientôt même plus nos outils de travail. Je suis retombé récemment sur l’étude annuelle de la SFT pour l’année 1999. On gagnait bien mieux sa vie à l’époque.
Pourquoi je pense que ça vaut la peine de le faire aujourd’hui. A mes yeux, et pour l’instant en tout cas, ce métier est moribond. Si je conseillais à un petit jeune de faire ce métier, j’aurais l’impression d’être le gars qui en 1900 conseillait de devenir cocher de fiacre. Ou épépineuse de groseilles (si, si, ça existait !)
La qualité principale pour s’y trouver bien. Je vais encore faire preuve de cynisme : la qualité principale *pour le faire bien* serait le goût du travail bien fait, de la qualité et de la bonne expression. Mais la qualité principale *pour s’y trouver bien* serait d’accepter d’être taillable et corvéable à merci, d’être prêt à bientôt gagner moins qu’un employé d’administration tout en travaillant deux fois plus, avec ici encore un corollaire : se foutre de la qualité finale en se retranchant derrière le « you get what you pay for »…
/Mon conseil aux débutants.
a) Lire, lire, lire. Dans toutes les langues qu’il pratique, dans sa langue « source » bien entendu, mais aussi et surtout dans sa langue « cible » maternelle. Quand je fais de la correction, je suis souvent effaré par des fautes de syntaxe, voire de grammaire, sous la plume de « professionnels » du langage. Emplois plus qu’hasardeux du subjonctif, pauvreté du vocabulaire. Je ne dis pas qu’on devrait écrire comme Flaubert, mais je vois venir le jour où certains pondront des « traductions » dans le style SMS.
Et quant à la partie traduction, je ne parle pas des approximations, des erreurs tellement grossières qu’on se demande comment quelqu’un a pu taper ça sans sourciller. Comment croyez-vous que la plupart des débutants traduisent « You may want to… » ? Vous pensez qu’ils vont perdre du temps à se demander s’il n’y aurait pas une expression plus adaptée en français ?
Si je m’étais mis ces dernières années à faire un florilège des plus belles inepties que j’ai vu passer, j’aurais de quoi vous alimenter un cours entier sur ce qu’il ne faut pas faire.
b) Apprendre la méditation transcendantale et avoir un métier/gagne-pain complémentaire au cas où… Ou un(e) petit(e) ami(e) pour assurer les lendemains qui chantent.
Comme vous le voyez, je ne suis pas d’un fol optimisme pour l’avenir, et je crois que j’aurais déjà changé de métier si j’avais trouvé autre chose. Ou de pays : quand les salaires sont au niveau du tiers-monde, il ne reste plus qu’à se réfugier dans le tiers-monde ! Une des deux alternatives viendra peut-être.
Renata Cikanaité, traductrice FR-LI, 7 ans de métier.
Cette vidéo a été supprimée à la demande de l’intéressée.