J’ai déjeuné récemment, à deux reprises, avec un autre patron d’agence de traduction.
L’un d’eux était Maciek, le fondateur de Sopoltrad, une agence basée en Pologne et spécialisée depuis de nombreuses années* dans les langues d’Europe centrale et d’Europe de l’Est. L’autre, Frédéric Micaleff, est le patron d’Atom e-City et le génial développeur de TpBox, un excellent outil de gestion des projets de traduction.
Deux professionnels, deux expériences très différentes du métier, et finalement des approches similaires. À chaque fois c’est un grand plaisir d’échanger avec des confrères expérimentés, de se lâcher un peu la bride, d’écouter un autre professionnel, de confronter des points de vue ou des pratiques parfois opposés mais toujours complémentaires. On ressort de là rassuré par la qualité humaine et professionnelle des personnes qui sont au coeur de notre métier. Et on se dit que, décidément, on ferait volontiers ça plus souvent : en ce qui me concerne, je serais ravi de rencontrer d’autres confrères une ou deux fois par mois. Alors, comment se fait-il que cela ne se produise pas ?
J’ai posé la question à mes interlocuteurs. Ils m’ont répondu que les agences étaient souvent méfiantes les unes vis-à-vis des autres, inquiètes de donner malgré elles des informations confidentielles, stressées par le risque de perdre des clients… J’espère qu’ils se trompent. Car, comme le faisait remarquer Maciek, le marché est assez grand pour tous : à partir du moment où le leader français pèse moins de 3% du marché national**, les 299 autres agences ont l’assurance d’avoir suffisamment de clients, même s’ils sont parfois difficiles à trouver. C’était aussi l’opinion de Vincent Rivalle et Mathieu Maréchal (Tradonline) quand je les ai rencontrés il y a deux ans.
Pourtant, il est vrai que nous sommes tous frileux et peu dynamiques ou actifs sur le plan confraternel : j’en veux pour preuve l’échec total du salon eCNET de cette année. Un salon si peu mobilisant que les agences membres de la CNET (une petite trentaine) ne se sont pas toutes déplacées. Dans ces conditions, il y avait peu à espérer des non-membres. Même si l’organisation laissait sans doute à désirer (on peut s’interroger sur la pertinence de choisir l’hôtel Marriott pour recevoir des agences de traduction, par exemple, ou sur l’absence totale de relance téléphonique préalable au salon), on ne saurait lui imputer toute la responsabilité de ce qu’on appelle un « four » au théâtre.
Le manque de collégialité du secteur est d’autant plus étonnant que l’isolement relatif de chacun devrait au contraire nous pousser à nous réunir le plus souvent possible. D’autant que, encore une fois, ce métier réunit quantité de personnalités intéressantes, expérimentées, voire, pour certaines, charismatiques. Je l’ai constaté, par exemple, en invitant des professionnels à intervenir à l’Université de Rennes 2 et à celle d’Evry. Tous ceux qui ont accepté de faire l’expérience étaient très heureux d’avoir pris sur leur temps pour faire le déplacement. Quant aux étudiants, c’était évidemment passionnant pour eux.
Peut-être faudrait-il systématiser les dîners confraternels comme ceux qu’organise Muriel Morin (3ic International) ? C’est aussi ce que propose aux traducteurs indépendants Arnaud Bramat (AéroTraduction) avec le Cercle Saint-Jérôme, qui se réunit trois ou quatre fois par an dans un bistro parisien.
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*Sopoltrad a été fondée en 1995…
**En estimant à 20 millions d’euros le CA du premier français, qu’il s’agisse d’A.D.T, de Tradutec ou de Telelingua, et à 800 millions le CA global de la traduction en France.
C’est vrai que pour être traducteur, il faut y mettre du cœur à l’ouvrage.
Guillaume,
Je vous suis tout à fait sur cette analyse. Comme vous le savez, nous avons quitté la CNET il y a 2 ans après avoir fait le constat que vous faites ici. Pourtant, nous étions arrivés avec « une grande envie », bien rapidement découragée…
L’isolement des agences les mène à leur perte. Je pense que c’est une des conséquences de leurs dirigeants qui sont depuis longtemps sur le secteur et ne prennent pas le recul nécessaire pour analyser la tendance. Le syndrome « c’est mon bébé ». Nous gagnerons tous (ou du moins, certains qui se rejoignent sur l’analyse, la vision du métier et la vision du management des équipes et de la relation client – un vrai sujet clivant aussi -) à échanger sur nos pratiques, mettre en commun « certains éléments », voire même fusionner.
N’attendons pas les acteurs censés « défendre, animer, énergiser la filière » qui en fait ne pensent souvent qu’à construire des barrières pour défendre un territoire « anciennement acquis ». Au plaisir d’échanger sur le sujet prochainement.
Vincent
Vaste sujet en effet. Il est vrai que les agences sont peu en contact les unes avec les autres, et pourtant on a toujours à apprendre de ses confrères.